L’ignorance est-elle l’arme absolue du leadership dans la complexité ?

Fragezeichen

Il y a bien longtemps Socrate disait : “La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien”. Parfois, les choses sont bien plus graves : on ne sait pas qu’on ne sait pas. C’est ce qui arrive lorsqu’on fait face à une situation complexe.

Dans ce cadre de référence, je vous invite à lire un billet de Philippe Vallat sur le thème de l’ignorance au service de la gestion de la complexité :

Un “esprit d’ignorance”

Pour bien comprendre ce billet, vous devez faire la différence entre compliqué et complexe.

Voici des extraits de ce billet en italique et mes remarques :

– “Dans le monde du compliqué, le concept du réel est suffisamment semblable au réel lui-même pour pouvoir servir de base à une action dont les conséquences seront raisonnablement prédictibles. Cette stabilité ou cohérence apparente entre le réel et sa représentation rassure l’entendement, avec le risque de le leurrer et lui faire croire que toute représentation du réel EST le réel. C’est ce que nous apprenons depuis tout petit : on nous inculque – et nous y croyons – que notre conception du réel EST le réel. Cette approximation est suffisamment exacte dans le monde du compliqué et nous avons fait tellement de bonnes expériences qu’à force nous ne voyons le monde que par ce biais-là.>>> De ce fait, dans le monde du compliqué, le savoir a un rôle central. On ne peut pas gérer le compliqué sans expertise.

– Dans le monde du complexe, le concept du réel est très loin du réel lui-même. Incapable de faire la différence entre une situation compliquée et une situation complexe, nous nous appuyons sur nos “bonnes expériences” du compliqué pour les reproduire dans la gestion du complexe. >>> De ce fait, dans le monde du complexe, l’ignorance a un rôle central. On ne peut pas gérer le complexe sans reconnaître qu’on ne sait pas.

– Dans le monde du complexe : “Il y a trop de données, trop d’incertitudes, trop d’interactions, bref, trop d’informations à traiter par l’entendement qu’il sera très vite dépassé. Cela générera un cortège de réactions émotionnelles négatives, de nature anxiogène.

– “Les systèmes complexes ont cette particularité qu’il n’est pas possible d’en avoir une vue exhaustive. […] Plusieurs conséquences:

  • Il n’existe pas de point de vue privilégié dans un système complexe. Cela signifie que même la hiérarchie n’a pas une meilleure perception du réel. Seul le point de vue est différent.
  • Pour avoir une représentation du réel qui ressemble le plus au réel, il convient de multiplier et mettre en commun les points de vue : c’est le sens du travail en équipe, en réseau et même de l’intelligence collective.
  • Un système complexe comportera toujours des inconnues et des incertitudes irréductibles, soit sur les paramètres de ce système, leur dynamique et / ou leurs interactions.
  • La durée de vie du savoir sur un système complexe peut être très brève : cela nécessite de garder à l’esprit que toute représentation du réel n’est que momentanée.
  • Ce qu’on ne sait pas est susceptible d’avoir plus d’influence sur le système que ce que l’on sait (théorie du chaos).

Un grand merci à Philippe pour son invitation à nous plonger dans un monde d’ignorance… quand il est complexe !

En résumé, l’ignorance est moyen d’être agile dans un monde complexe où malheureusement la réalité n’est pas toujours comme on la voit. Comme le dit Sophie Lacour dans les commentaires ci-dessous : Il faut avoir la connaissance de cette ignorance. Il y a deux ignorances très différentes :  “savoir que l’on ne sait pas” ET “ne pas savoir que l’on ne sait pas”. C’est cette  connaissance de notre ignorance qui fera notre force.

Pour être agile, les entreprises devraient donc recruter des experts de l’ignorance ?

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« Depuis que je crois que je ne sais pas, j’en sais plus que ceux qui croient savoir ! » Ozon Liniorence

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Author: Olivier Zara

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20 thoughts on “L’ignorance est-elle l’arme absolue du leadership dans la complexité ?”

  1. Merci Olivier pour la reprise et la prolongation de ma réflexion sur l’ignorance dans les systèmes complexes. Dans une société du savoir, faire juste place à l’ignorance est un contre-pied magnifique !

  2. “tu ne sais pas tout ce que tu ne sais pas” (aphorisme juif)

    La particularité de l’ignorant c’est souvent qu’il croit qu’il sait. Mesurer son ignorance est une preuve de conscience. A confondre croyance et connaissance on risque de mélanger ignorance et agnosticisme.
    Le “A priori je ne sais pas” ne veut pas dire que je ne connais pas, mais que je sais considérer les situations en faisant abstraction de mes croyances. De la même manière que le geste intuitif repose sur une longue pratique, l’agnosticisme repose sur une grande culture.
    On retrouve dans ce débat la même confusion que celle qui existe dans le débat spirituel sur la dépendance au mental qui est la manifestation de l’égo: ceux qui préconisent la disparition du mental confondent deux choses: le mental et la dépendance au mental.
    Sans activité mentale je n’existe pas mais si j’en dépends entièrement je suis mort spirituellement.
    l’ignorance n’est pas l’absence de croyances A priori, mais l’incapacité à se détacher de ses croyances.
    ce n’est pas tant l’ignorance qui est à prôner, mais la capacité à faire abstraction de ses croyances: ce qui suppose une grande pratique de la connaissance. Considérer est une activité qui s’apprend par la pratique.

    1. @denis

      Très intéressant ton commentaire mais je ne vois pas le lien avec le sujet du billet. Je ne prône absolument pas l’ignorance. Je ne comprends pas pourquoi tu te places sur le champ spirituel, le mental,… J’ai l’impression que tu commentes le titre “provocateur” du billet et non le billet lui-même. Autre option : je n’ai rien compris 😉
      Rien compris mais comme je le disais, ton commentaire est intéressant !!

    2. @denis

      Il me semble (?) comprendre les propos de Denis.

      Si je tente une synthèse, Denis propose de dissocier ce qui relève de :
      – la méconnaissance consciente (je n’ai pas l’information)
      – la méconnaissance inconsciente (je pense avoir l’information, mais cette dernière n’est qu’une information déductive passée au travers du filtre de mes croyances).

      Or, pour revenir à l’article de Philippe développé par Olivier, dans les situations complexes, les deux dimensions existent.

      Manager dans la complexité nécessite donc :
      – Humilité pour appréhender sereinement les choses que je ne sais pas de manière consciente (pour ne pas chercher à tout prix à trouver une explication à toutes les questions qui sont posées sous peine de fabriquer une réalité individuelle et collective qui n’existe pas). Le leadership (déjà la confiance en soi) est ici un atout maitre pour passer « outre » la croyance populaire qu’un « chef » ça doit tout savoir et trouver la posture adapte.

      – Connaissance de soi et discernement : pour appréhender avec justesse les choses que je ne sais pas, mais que je crois savoir. Pour ce dernier point, développement personnel et supervision en situation sont deux leviers pertinents.

      😉

  3. Bonjour Olivier,

    L’intelligence collective commence quand le gestionnaire, se débattant avec la masse informe du visible qui l’accapare, lui donne une forme créative. Ce gestionnaire fait partie des artistes qui reformulent le monde réel.

    Salutations!

  4. Merci pour ces éléments de réflexion qui ont trouvé écho dans le cadre d’un projet récent de formation (lire “transformation”) de 500 managers en approche systémique sur 6 niveaux hiérarchiques.
    Nous nous faisions la réflexion l’autre jour que tout le monde, et surtout les intervenants/facilitateurs, apprenait énormément d’un processus bottom-up de co-construction de référentiel managérial… et du coup, si nous “apprenons” cela signifie qu’avant nous ne “savions pas” et que donc nous étions “ignorants” (et que cela n’empêche pas de se poser les bonnes questions et de se faire confiance pour identifier des pistes de solutions/approches).
    Merci donc d’avoir mis des mots sur certains de nos ressentis,
    Bien à vous,
    Thomas

    1. @Thomas
      Accord à 100%
      Partir du principe ou accepter d’être ignorant, c’est se mettre en posture d’écoute active, c’est ouvrir son esprit à la terra incognita, c’est élargir le champ des possibles.
      C’est ensuite un processus d’émergence collectif qui va nous permettre de sortir de l’ignorance individuelle au profit d’une vision/ambition commune partagée.

  5. Ce billet m’a vraiment intéressé.

    Ces derniers temps j’ai vu de nombreuses interventions de Christophe Dejours, un psychanalyste qui travaille sur la psychodynamique du travail. Il analyse le travail en prenant en considération le travail RÉEL qui correspond à ce que le salarié ajoute aux prescriptions pour réussir à réaliser le produit / la prestation de service.

    La tentative d’appréhender le RÉEL constitue pour moi une priorité. Je tend vers cet objectif en l’observant sous de différents angles :

    – l’angle gestionnaire (c’est ma formation initiale). A mon sens la gestion prend beaucoup trop de place,
    – l’angle psychodynamique du travail,
    – l’angle sociologie des organisations (je vous conseille le livre de François DUPUY “LOST IN MANAGEMENT”)
    – l’angle de l’organisation paradoxale depuis que j’ai découvert les travaux d’Olivier.

    Je me forme actuellement pour obtenir les compétences de coach, qui selon moi, sont impératives pour acquérir des compétences clefs dans la relation inter-personnelle et l’art de poser des questions.

    Ma curiosité est telle que j’envisage de me plonger dans l’ethnologie, la philosophie… et toute autre science qui me permettront d’observer le réel sous différents angles.

    A la lecture de ce billet et au regard de ce que j’ai découvert sur l’organisation paradoxale, je me fais la réflexion suivante : Face à la page blanche dont parle Olivier (développement de la performance, résolution d’un problème complexe, gouvernance, innovation collaborative), la réunion de réflexion collective est nécessaire.

    Or, je prends conscience que dans le cadre de ces réunions collectives, il est souhaitable que chacun partage ces questionnements sur le sujet posé. Au regard de la complexité du sujet, de la difficulté à l’appréhender, l’art du questionnement doit être mis en oeuvre dans le cadre de ces réunions. Rappelez vous la citation d’Einstein : “Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerai les 55 premières minutes à trouver la bonne question et les 5 minutes restantes suffiront à trouver la réponse”.

    Je vous invite à regarder cette courte vidéo sur youtube. L’orateur nous parle de l’art du questionnement : https://www.youtube.com/watch?v=R6YYiZVQMFg

    Dans ce domaine, la majorité des personnes est assez basique (et je m’intègre dans le lot).

    D’après le billet que je viens de lire, et l’augmentation de la complexité des environnements au sein desquels évoluent nos organisations, l’art de poser les questions va devenir une compétence clef, source d’avantages concurrentiels.

    Au plaisir de lire vos autres billets Olivier. Et merci pour le dynamisme de votre blog.

    1. @Stéphane

      Merci ! Effectivement, la réflexion collective consiste à se poser des questions ensembles et à chercher des réponses ensemble. Tout commence par les questions qui sont donc effectivement centrales dans la réussite du management de l’intelligence collective.

  6. Billet très intéressant et une discussion tout aussi enrichissante. L’écoute et le questionnement sont à mon sens les fondements du management. Concernant ces notions de complexité et de compliqué, il me semble aussi essentiel de les distinguer pour ne pas se laisser envahir trop souvent par des solutions qui sont basées sur nos expériences antérieures et portées par notre seul jugement émotionnel.
    La connaissance n’est pas un simple recul de l’ignorance mais plutôt la création d’une nouvelle ignorance, celle, comme vous le soulignez, de la connaissance de cette ignorance. Ce sont deux ignorances très différentes, savoir que l’on ne sait pas n’est pas du tout la même chose que de ne pas savoir que l’on ne sait pas. Et cette nouvelle connaissance fait notre humilité et à la fois notre force.
    Cette ignorance amène au principe d’incertitude d’Heisenberg. Pour ma part, je citerais Morin qui dans la méthode souligne que “La connaissance des limites de la connaissance fait partie des possibilités de la connaissance et elle accomplit cette possibilité. Elle dépasse les limites de la connaissance bornée qui se croyait illimitée.”
    Bien à vous, Sophie.

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