Comment transformer positivement la culture d’entreprise ?

Mon amie Carine Dartiguepeyrou préside le Comité scientifique du cercle de Prospective RH. Elle est coauteur du livre Le DRH du 3ème millénaire (Edgard Added, Carine Dartiguepeyrou, Wilfrid Raffard, Michel Saloff Coste, Le DRH du 3ème millénaire, Editions Village Mondial, 2ème édition 2009) et directeur chez Kea&Partners.

Je reproduis avec son accord l’intégralité d’un de ses articles publié dans la Revue RH&M d’avril 2009 :« Mieux vivre ensemble » ou comment transformer positivement la culture d’entreprise

Voici l’article :

Aujourd’hui l’enjeu n’est plus de convaincre les entreprises de l’importance de la diversité mais de les aider à comprendre comment manager dans la diversité et la valoriser. Ce problème dépasse bien largement l’univers de l’entreprise comme nous allons le voir. Il implique de développer un nouveau regard sur les principes essentiels du management.

L’entreprise du 21ème siècle ou du 3ème millénaire, est celle qui reconnaît l’importance des valeurs. Elle base son développement et sa cohérence managériale sur celles-ci. En anglais, nous dirions que l’entreprise est à la fois « value based » et « value driven ». Les entreprises ont généralement conscience de l’importance de leurs valeurs, les cultivent pour valoriser leur marque ou animer leurs équipes, mais rares sont celles qui exploitent leurs valeurs jusque dans le développement de nouvelles offres ou modèles économiques.

Par valeurs, nous n’entendons non pas uniquement la valeur financière mais faisons référence aux systèmes de valeurs de l’entreprise développés dans la lignée de Abraham Maslow (1908-1970) ou de Clare W.Graves (1914-1986). Aujourd’hui plusieurs outils, parmi lesquels ceux de Brian Hall, Richard Barrett, Kenton Hyatt et Cheryl De Ciantis ont été développés pour identifier, analyser, mesurer les systèmes de valeurs des dirigeants et des employés à titre individuel comme collectif.

L’usage du travail sur les valeurs ne se limite pas à la définition de l’identité de l’entreprise ou de la marque. L’enjeu se situe dorénavant dans la capacité de l’entreprise à construire sur ces mêmes systèmes de valeurs afin de nourrir une dynamique collective, une internationalisation, un recentrage ou une extension sur ses éléments stratégiques différenciateurs (ce que nous appelons « stratégie créative » – Michel Saloff Coste, Carine Dartiguepeyrou, série de 2 articles pour la Revue Kea&Partners).

Une nouvelle expression du leadership

Lorsque l’on travaille sur les systèmes de valeur des dirigeants d’avant garde, on remarque que tous ont passé le cap du changement de paradigme. Ils sont marqués par une forte connaissance d’eux-mêmes et pratiquent souvent des activités artistiques, sportives ou culturelles. Leur souhait est de donner plus d’autonomie à leurs collaborateurs, de favoriser un environnement qui puisse libérer plus d’énergie positive, de prise de risques, d’initiatives en faveur de la transformation de l’entreprise. Ils ont une forte conscience de la nécessité de respecter la différence chez leurs collaborateurs et se posent la question de comment intégrer ces différents talents. On remarque également un fort détachement par rapport à leur réussite personnelle car ils ont fait leurs preuves. Ils regrettent en général les résistances autour d’eux, le manque d’interdépendance et de collaboration au sein de l’entreprise. En cherchant à comprendre ces résistances qui souvent aboutissent à un laisser-aller et à un manque de motivation, on se rend compte que ce type de résistance prend sa source dans la superposition des différents systèmes de valeurs. Cette multiplicité des systèmes de valeurs dans une équipe ou une entreprise augmente le nombre des façons de voir et des représentations que l’on se fait des situations.

C’est bien selon nous cette complexité qui va alimenter les enjeux de gouvernance de l’entreprise du 21ème siècle. Gérer cette complexité, c’est de fait arriver à gérer la biodiversité humaine dans son environnement, l’écosystème de l’entreprise, articuler les différents systèmes de valeur, adapter les modes de management et communiquer dans la diversité. Nous devons revenir à des rythmes et à des organisations plus écologiques du point de vue psychologique, redonner de la place à l’écologie de l’être et en cela reconnaître les avantages du leadership intégral (rationnel, émotionnel, sens).

Les communautés créatives

Notre expérience dans la mise en oeuvre de « stratégies créatives », que cela soit dans les phases d’inspiration (vision/imagination/prospective), d’aspiration (création/développement/innovation) ou de matérialisation (produits/offres/business modèles), montre que si bien souvent le dirigeant impulse le changement, la refonte, le travail au niveau du Comex, la réelle matérialisation d’un changement de cap ne peut advenir sans la contribution des membres les plus créatifs de l’organisation. Pour cela, il convient de mettre en place des processus qui permettent de repérer et de faire contribuer ces personnes. Nous souhaitons insister sur le fait que ces processus ne relèvent pas uniquement des processus d’innovation mais bien d’une démarche de gouvernance d’entreprise multi-niveaux, multimétiers, totalement décloisonnante. Bien que l’homme soit animé par ses propres talents et qu’il ait la capacité à se mouvoir au niveau formel, nous constatons que vivre ses émotions sans débordements et dégager du sens n’est pas donné à tous. D’où l’enjeu de repérer et valoriser ces talents rares. Très souvent l’entreprise néglige ces communautés créatives car elle ne sait pas quoi en faire. Sans projet, sans volonté de transformer et d’intégrer ces acteurs du changement, ces talents sont perçus comme nécessitant trop d’efforts et de travail pour les collaborateurs traditionnels. Le déploiement de stratégies créatives permet à ces personnes de porter haut la matérialisation de nouveaux business modèles et de solutions innovantes.

Une éthique de l’altérité

Même lorsqu’il s’agit de dirigeants d’avant-garde, le plus difficile dans les situations de changement est de toucher l’ensemble du corps social. Le management intermédiaire représente un maillon essentiel souvent porteur de résistances profondes et de frustrations. Notre conviction est que les managers seront amenés à répondre à des exigences bien supérieures et à rendre des comptes dans les domaines du psychologique et des relations humaines. Même en temps de crise, les entreprises ne pourront plus faire l’économie des relations sociales et du dialogue.

Ces propos peuvent paraître catégoriques mais les désastres psychologiques qui s’accumulent aujourd’hui notamment dans les grandes organisations sont le résultat de comportements humains et la plupart du temps de mensonges accumulés. Bientôt il ne sera plus possible de faire comme si de rien n’était et de passer outre les abus, les mensonges ou les non-dits. Les entreprises devront avoir au quotidien l’exigence de l’authenticité et de la vérité, c’est-à-dire exiger de leurs collaborateurs une « éthique de l’altérité » dans le respect de l’autre (Michel Saloff Coste et Carine Dartiguepeyrou, Les horizons du futur, Guy Trédaniel, 2001). Comme le souligne Olivier Zara (Le management de l’intelligence collective, M21 Editions, 2008), l’enjeu n’est pas seulement de pratiquer plus de collégialité mais de créer plus d’intelligence collective. C’est pourquoi l’intelligence collective passe selon nous par une reconnaissance des singularités individuelles, des talents de chacun, de l’importance de l’unité dans la diversité. Pour l’entreprise, cela signifie reconnaître la nécessité de se différencier, de miser sur ses actifs immatériels et son capital humain, d’affiner la compréhension de son identité et des éléments qui la singularisent, de cultiver en son sein les conditions qui permettent l’émergence de sa créativité, de son innovation ainsi que de mener sa transformation. L’enjeu est bien de contribuer positivement à sa culture d’entreprise.

L’enjeu du « mieux vivre ensemble »

Les travaux menés dans le cadre du dirigeant du 3ème millénaire (Michel Saloff Coste, Carine Dartiguepeyrou, Wilfrid Raffard, Le dirigeant du 3ème millénaire, Editions d’Organisation, 2006) nous ont montré que l’enjeu actuel et à venir de gouvernance au sein des entreprises est bien le passage de l’individuel au collectif. Les années 80 ont consacré l’avènement de l’individualisme avec comme point positif un travail des dirigeants sur leur individuation (développement personnel, coaching, etc.). Cette problématique de passage de l’individuel au collectif dépasse l’univers des entreprises et concerne toute la société (ONGs, réseaux, Etats). En résumé, l’enjeu est de dépasser les clivages marxistes-libéraux du 19ème et 20ème siècles, afin de dégager de nouveaux mythes, de nouvelles idéologies, de nouveaux paradigmes. Les exercices de prospective font ressortir la nécessité de parvenir à une nouvelle économie politique qui repose sur une nouvelle expression de solidarité et approche du “nous” et du collectif. A ce titre, la transformation culturelle par les valeurs en entreprise peut elle aussi contribuer à un “mieux vivre ensemble”.