Quand on parle d’intelligence collective, on finit tôt ou tard sur les fourmis, les abeilles… Je pense que l’intelligence collective animale est un mythe. Il y a de nombreux ouvrages et articles sur l’intelligence collective des fourmis, des termites, des abeilles. Alors, ce billet sera forcément pour certains un pavé dans la marre… aux canards !
Pour démarrer, je vous propose un tableau comparatif entre les humains et les animaux :
Humains | Animaux |
Intuition collective | Instinct collectif |
Un fonctionnement par des interactions en mode holistique et systémique | Un fonctionnement qui ressemble aux algorithmes propres à l’intelligence artificielle. |
Les opérations sont complexes (marcher sur la lune) : incertitude, imprévisibilité. | Les opérations sont compliquées (construire une termitière) : temps et expertise |
Conscience collective & réflexive | Conscience individuelle non réflexive |
Co-construction, co-création collective | Coordination collective |
Se poser des questions et chercher des réponses | Bête (au sens propre et figuré) et discipliné : surtout ne pas se poser de questions ! |
Haut de la pyramide de Maslow : l’accomplissement de soi = vivre | Bas de la pyramide de Maslow : manger, se reproduire et se défendre = survivre. |
Créativité, génie en mode conquête de l’univers | Adaptation, reproduction en survie sur terre |
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Il est vrai que les réalisations des abeilles, des fourmis ou des termites sont impressionnantes. Cependant, il me semble abusif de parler d’intelligence collective.
Pour ceux qui ont lu mon livre L’excellence décisionnelle, il me semble que les animaux pratiquent l’intelligence collaborative. Elle consiste à partager des informations et à travailler ensemble pour atteindre un objectif.
Voici quelques extraits de mon livre pour expliquer cette proposition :
L’intelligence collaborative est orientée sur la productivité, la discussion collective, le management participatif et le compliqué. Les membres de l’équipe ont un objectif commun : optimiser l’existant. Ils sont tournés vers cet objectif.
Concrètement, il s’agit de mettre en commun des idées, des savoirs, des expériences, de partager l’existant, de cartographier l’existant. Dans ce type de démarche, l’animateur a une place centrale. L’étymologie du terme collaboratif est « co-labeurer » (labeur = travail). L’intelligence collaborative consiste donc à travailler ensemble en bonne intelligence (management participatif).
On peut visualiser l’intelligence collaborative à travers un mur de post-it, la méthode Metaplan et le tableau (paperboard). Tous les membres du groupe sont tournés vers le tableau, le mur et vers l’animateur qui les stimule en leur posant des questions.
L’intelligence collective est orientée sur l’agilité, la réflexion collective et le complexe. Les membres de l’équipe ont un objectif commun : créer l’existant. Ils sont tournés les uns vers les autres parce qu’ils s’écoutent. Chacun rebondit sur les idées des autres. Ils co-construisent.
Concrètement, il s’agit d’adopter des comportements d’écoute active, de favoriser l’émergence. Dans ce type de démarche, le collectif a une place centrale (et non l’animateur). L’étymologie du terme collectif est le « co-llectif » (ensemble). L’intelligence collective consiste donc à co-construire ensemble.
On peut visualiser l’intelligence collective à travers une table de réunion. Tous les participants sont tournés les uns vers les autres et non vers un tableau ou un mur. L’animateur est peu présent puisque c’est un processus qui anime (cf. Codev stratégique). Chaque participant voit un bout de la réalité à travers le prisme de son expertise, de ses intérêts, de ses croyances, de ses valeurs. C’est son intelligence de la situation appliquée sur la dimension qu’il connait. Si chacun partage son intelligence de la situation, on augmente les chances de voir la vraie réalité. Avec une vision partagée de la réalité, les solutions seront plus nombreuses et plus pertinentes.
Les techniques d’animation de grand groupe type World Café ou Forum Ouvert renvoient à l’intelligence collaborative étant donné qu’on pose des questions aux participants. L’action de répondre à une question (discussion) est bien différente de l’action qui consiste à se poser des questions (réflexion). Le plus souvent la grande décision (complexe) est prise en comité restreint voire par une seule personne (stratégie, gouvernance). On demandera ensuite aux collaborateurs de répondre à une seule question : « comment mettre en œuvre la grande décision ? » World Café ou Forum Ouvert permettront de trouver les petites décisions d’implémentation.
L’origine des questions permet d’établir la typologie des outils :
« Le groupe qui répond à des questions préparées sur le sujet à traiter » type World Café
versus
« Le groupe qui se pose des questions sur le sujet à traiter » type Codev stratégique – Forum
L’intelligence collaborative permet la performance dans l’Ordre. On pourrait la nommer : performance en aval. L’intelligence collective permet la performance dans le Chaos. On pourrait la nommer : performance en amont. C’est en effet la qualité des grandes décisions en amont qui permet d’obtenir une qualité des petites décisions. En d’autres termes, une mauvaise grande décision ne pourra jamais produire de bonnes petites décisions.
Cependant, la plupart des organisations concentrent tous leurs efforts sur la performance en aval, car elle considère la performance principalement sous l’angle de l’action (produire et vendre). Or, l’action est la conséquence de la réflexion en amont. On peut maintenant affiner notre équation ainsi :
Agilité + Productivité = Performance globale
Performance en amont + Performance en aval = Performance globale
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En conclusion, animaux et humains ont en commun l’intelligence collaborative mais, en attendant une éventuelle mutation génétique, l’intelligence collective est encore l’apanage des humains. Contrairement à ce qu’on pense, nous ne descendons pas du singe. Nous sommes d’un point de vue scientifique… des singes. Si nous souhaitons vraiment nous différencier des animaux, nous devons le prouver en développant l’intelligence collective dans nos sociétés plutôt que de nous contenter de l’intelligence collaborative que nos amis les animaux maîtrisent aussi bien que nous !
Si l’humain peut se comporter comme un animal, l’inverse n’est pas (encore) vrai. Même si les dauphins et d’autres espèces s’en rapprochent, on est loin du compte (cf. mon tableau ci-dessus). Le jour où un dauphin ira prendre un bain sur Mars, je serais prêt à revoir mon point de vue sur l’intelligence collective animale. D’ici là, je pense que c’est un mythe !
Aucun animal n’a été maltraité durant l’écriture de ce billet.
Bonjour
Beau point de nuance forte qui ouvre un large champ d’améliorations des comportements et des process en collectif : intelligence collaborative et intelligence collective. Merci. Youna