L’intelligence collective, moteur de l’Enterprise Architecture ?

Pierre Moyen m’a contacté il y a deux ans pour me parler du concept de “l’Enterprise Architecture” (EA pour les intimes). Il était convaincu que l’intelligence collective (IC) était un des moteurs essentiels de l’EA et il m’a proposé une collaboration pour tisser des liens conceptuels et pratiques entre EA et IC. Ce billet est le fruit de nos échanges. Vous y trouverez une présentation de l’EA et des liens entre EA et IC.

Pierre Moyen est un expert des systèmes d’information : “Architecte d’entreprise” et intégrateur de solutions métiers. Il intervient dans des missions de conseil et de conduite de projets d’entreprise. Précurseur depuis 20 ans sur les ERP, le Business Process Management et l’Enterprise Architecture. Certifié TOGAF 9.

Nous animons ensemble une formation pour SAP les 31 mars & 1er avril 2011 (attention le nombre de places est très limité). Vous trouvez les informations pour vous inscrire à la fin de ce billet.

Qu’est-ce que l’Entreprise Architecture (EA) ?

Pour présenter le concept, je vous propose une analogie avec la construction d’une maison. Pour faire des économies, une personne décide de faire construire sa maison mais sans faire appel à un architecte. Par prudence, il confie quand même son projet à une grande entreprise de construction qui est spécialiste des constructions standard. Mais, le chantier prend beaucoup de retard et la facture augmente du fait de divers problèmes.

Tout comme vous pour votre maison, une entreprise a besoin d’un architecte ! La mission d’un architecte d’entreprise est de formaliser les représentations de l’entreprise, nécessaires à sa compréhension et à son optimisation. Tout le monde considère, avec raison, que l’entreprise est un objet complexe, sans doute plus complexe qu’une habitation. Elle est traversée de nombreux réseaux, se compose de plusieurs systèmes plus ou moins imbriqués. Elle est le lieu où s’intègrent et s’affrontent  plusieurs rationalités. Comment la gouverner sans la comprendre dans ses détails et dans toutes ses dimensions ? Comment la comprendre sans la représenter ?

L’architecture d’entreprise, en tant que discipline, vise justement à établir ces représentations et, puisqu’il en faut plusieurs, elle cherche à les relier en un tout cohérent. Pourquoi plusieurs représentations ? Revenons à la métaphore de la maison. Les gens de métier ont besoin de plusieurs plans, un schéma pour l’électricité, un autre pour la plomberie, etc.  : A chaque métier, sa représentation !

Il en va de même pour l’entreprise. Chaque fois que l’on veut tout mettre sur un même dessin, il devient vite illisible. Il nous faut séparer la représentation des activités (sous la forme de processus, par exemple), celle de la connaissance des fondamentaux, celle des solutions informatiques et aussi celle de l’infrastructure, pour n’en citer que quelques-unes. Ces représentations nécessitent des expertises différentes, s’adressent à des profils différents et vivent à des rythmes également différents. Distinctes, ces représentations sont aussi reliées, ce qui complique un peu le travail. L’enjeu est la mise en synergie des expertises.

L’architecture d’entreprise peut donc se définir comme l’art des représentations de l’entreprise. Elle se range parmi les activités d’étude, au même titre que la conception stratégique, l’organisation (conception organisationnelle) ou l’audit. Ces activités partagent un précepte de bon sens : mieux vaut réfléchir avant d’agir.

Le bon sens, dit-on, est la chose au monde la mieux partagée. Est-ce si sûr ? Nous sommes tellement engloutis dans le flot quotidien des sollicitations que nous agissons plus par réflexe, dans l’urgence, sans penser ou en pensant le moins possible. Le superficiel l’emporte souvent sur l’essentiel.

Dans notre contexte de crise, est-ce que l’architecture d’entreprise est un luxe ? C’est exactement le contraire. C’est par souci d’économie et d’efficacité que nous devons penser la totalité de l’entreprise et de ses systèmes. Oserions-nous construire une maison comme un simple agrégat de pièces ? C’est pourtant ce que nous faisons de l’entreprise, quand nous accumulons les projets, menés en parallèle ou les uns après les autres, sans jamais élaborer la vision d’ensemble.

Pourquoi l’Architecture d’Entreprise ?

L’entreprise est par essence un système complexe qui se caractérise par une grande fréquence de changements. C’est une réalité complexe qu’il est nécessaire de formaliser et modéliser  pour  la rendre intelligible, expliquer une situation existante et un projet futur.

Depuis des années, l’architecture d’entreprise s’est imposée comme un moyen incontournable au service de l’amélioration des performances. Elle a pour but d’intégrer dans un même modèle les différents points de vue qui contribuent aux objectifs de l’entreprise : la stratégie, les processus métiers, l’organisation, le système d’information et les opérations.

Tout comme l’architecte d’une maison doit savoir coordonner les différents corps de métiers et leurs différents points de vue (peintres, maçons, menuisiers, plombiers, plâtriers, électriciens – chacun possédant son propre vocabulaire), l’architecte d’entreprise doit savoir synchroniser les corps de métier sur une vision commune : le plan d’architecture global.

Voici un exemple :

(Cliquez sur l’image pour agrandir)

EA cartographie

En résumé, l’enterprise architecture c’est…

  1. Une démarche pour toutes les entreprises, mais plus l’entreprise est grande plus c’est critique,
  2. Une démarche pour modifier génétiquement les organisations afin d’y intégrer l’ADN de l’agilité,
  3. Un outil d’assistance à la transformation organisationnelle permanente pour mettre en cohérence la stratégie avec l’organisation, le fonctionnement, les technologies et les ressources humaines,
  4. Une vision  à 360° de toutes les dimensions de l’entreprise,
  5. Une approche systémique de l’organisation qui prends en compte toutes les interactions verticales, transverses, internes et externes.
  6. Une démarche pour sécuriser et accélérer l’alignement entre stratégies et opérations, et donner du sens aux opérations.

En quoi l’intelligence collective est-elle un moteur de l’EA ?

L’intelligence collective n’a pas besoin de l’EA pour exister puisqu’elle est censée faire partie des compétences managériales de base pour sécuriser et accélérer les processus de prise de décision (ce n’est pas suffisamment le cas actuellement mais j’y travaille !).

Mais, l’EA a un besoin vital de l’intelligence collective. Pour passer de l’intention stratégique à un processus de transformation continue, il faut articuler deux dimensions :

1. La dimension ingénierie, en s’appuyant sur des modèles, référentiels, principes d’architectures et process destinés à engager les projets de transformation en cohérence avec les préoccupations économiques, réglementaires et sociales de l’entreprise

2. La dimension management, à travers des outils destinés à développer la responsabilité, l’adaptabilité d’une organisation et  garantir la mise en œuvre des décisions en réduisant la résistance au changement et en créant une émulation positive

Pour atteindre cet objectif, le schéma ci-dessous montre qu’il faut créer 2 processus : un processus “Entreprise Architecture” et un processus “Intelligence Collective”. Ces processus sont en fait les 2 courroies de transmission qui vont donner une agilité permanente à l’entreprise en lui donnant une capacité d’auto-transformation – c’est-à-dire une capacité mise en œuvre d’une manière autonome, continue et en temps réel.

(Cliquez sur l’image pour agrandir)

EA cartographie2

Or actuellement, les architectes d’entreprise travaillent sans les architectes collaboratifs, c’est-à-dire sans les experts qui maîtrisent les outils, méthodes et technologies capables de connecter les savoirs et les intelligences dans le cadre de toutes les interactions verticales, transverses, internes et externes.

Conclusion…

Savez-vous qu’il faut 4h entre le moment où on tourne la barre d’un super tanker et le moment où le bateau prend une nouvelle direction ? Si les entreprises étaient des super tanker, on pourrait dire qu’elles ont besoin d’environ 6 mois pour prendre le même virage si toutefois elles y arrivent. En effet, le syndrome de l’Exxon Valdez les hante (le naufrage) quand ce ne sont pas les marins qui se suicident ou se mutinent (grèves, arrêts maladie, climat social, fidélisation, image de marque,…).

L’EA et l’IC combinés permettent à une organisation de tourner à la même vitesse qu’un super tanker en maintenant le climat social et la qualité des relations humaines au meilleur niveau possible.

Pour l’instant, peu d’entreprises s’intéresse à l’intelligence collective alors que ça fonctionne parce qu’il est impossible de faire du ROI dans ce domaine. Les experts de l’EA sont pris au sérieux par le côté rationnel, mesurable de la démarche alors que leur démarche ne fonctionne pas bien. C’est ça le monde d’après ? Non, c’est le monde à l’envers !

Ma rencontre avec Pierre Moyen, co-auteur de ce billet, c’est la rencontre de l’IC et de l’EA, d’un architecte d’entreprise et d’un architecte collaboratif. Deux mondes totalement différents qui ont besoin d’être en synergie, en interdépendance.

Le débat est lancé, n’hésitez pas à réagir dans les commentaires pour confirmer ou infirmer. Et si vous voulez en savoir plus, vous pouvez vous inscrire à une formation organisée par SAP les 31 mars & 1er avril 2011.

Télécharger la présentation de cette formation en pdf…

1ère page du pdf

2ème page du pdf

Flyer SAP

Les réseaux sociaux et annuaires intelligents au secours du KM

Un article intéressant du 13 avril 2010 à lire sur Le Nouvel Économiste :

Fixer les connaissances individuelles dans l’intelligence collective de l’entreprise

http://www.lenouveleconomiste.fr/2010/04/13/memoire-vive/

C’est à la fois un historique sur tout ce qu’il ne faut pas faire et des pistes de réflexion pour construire l’avenir. Voici quelques extraits qui ont retenu mon attention :

– La communautarisation des connaissances

– On a d’abord cru à la possibilité d’archiver soigneusement dans les mémoires numériques les connaissances de chaque collaborateur. Avant de prendre conscience que le cap suivi n’était pas le bon. “On s’est rendu compte que la connaissance se trouve plus au rayon frais qu’au rayon des surgelés, résume plaisamment Carlos Diaz, président de Bluekiwi. L’important n’est pas forcément de ressortir des archives du passé ou de faire de l’analyse sur ce que l’on savait avant mais plutôt de mettre en connexion les gens entre eux, en fonction de leurs besoins immédiats, avec la possibilité d’utiliser de la connaissance mise à jour en temps réel.”

– “Favoriser les réseaux d’anciens est à l’ordre du jour, estime Dominique Turcq, pas forcément en se limitant aux retraités mais en élargissant à tous ceux qui ne sont plus dans l’entreprise, de manière à pouvoir encore aller chercher leur savoir une fois ceux-ci à l’extérieur.”

– Faire passer les connaissances individuelles dans l’intelligence collective de l’entreprise grâce à l’approche participative est une révolution qui peut faire peur. “On est en train de changer la façon même de travailler ensemble, commente Dominique Turcq, il y a aussi une prise de conscience que l’information et la connaissance sont partout, pas seulement auprès de ses collègues mais également à l’extérieur, dans toutes sortes de réseaux, y compris ceux des anciens de son école ou de son université.”

– Certains clients nous disent qu’ils ne sont pas prêts culturellement. Ce à quoi nous leur répondons que la culture n’est pas un préalable mais plutôt un objectif.

– L’exemple le plus couramment cité est celui de Cisco, aux Etats-Unis. “Le passage à l’entreprise collaborative s’est traduit par le départ de 25 % des cadres de l’entreprise, rappelle Jérôme Coignard, l’entreprise transversale remet en cause la hiérarchie des pouvoirs. Accepter que le nouveau talent puisse venir d’en bas n’est pas un changement facile”, ajoute-t-il, en mentionnant le cas d’un commis de cuisine qui a gagné la première place face à des cadres dans un jeu de simulation destiné à évaluer les qualités de management des participants. Dominique Turcq entre dans le détail : “Vu d’en haut, il y a une résistance spécifique, estime-t-il, c’est celle de la direction des systèmes d’information, d’abord pour des raisons de sécurité mais pas seulement. Les DSI avaient commencé à asseoir leur pouvoir grâce au stockage de données, on leur demande à présent de connecter les individus entre eux.”

– Au niveau des étages inférieurs, les freins viennent plutôt d’une réticence à participer. Les chiffres habituels concluent que 1 à 4 % des personnes s’expriment sur une plate-forme numérique collaborative, 9 % réagissent et 80 % observent prudemment. Peut-on s’en contenter ? “Oui”, répond Carlos Diaz reprenant l’exemple du modèle Wikipédia où “seule une toute petite fraction des utilisateurs participent mais cela intéresse quand même tout le monde.”

– Avec l’annuaire intelligent, on passe même au stade supérieur où chacun, finalement, est prié de s’évaluer lui-même en substituant à l’ancien listing classique dressé par la direction un outil rempli par les collaborateurs eux-mêmes, seuls juges des compétences qu’ils souhaitent mettre en avant.

Pour lire l’article complet :

http://www.lenouveleconomiste.fr/2010/04/13/memoire-vive/