Comment porter l’intelligence collective à l’infini et au-delà dans votre organisation ? Pour répondre à cette question, je vous propose 9 principes qui vous permettront de passer de l’intention à l’action.
AVERTISSEMENT : ce manifeste s’adresse aux personnes qui connaissent les outils et concepts de l’intelligence collective (livres, conférences, formations).
Extraits du livre : Le chef parle toujours en dernier. Voir chapitre 3 du livre.
1. Distinguer le simple, le compliqué et le complexe
Distinguer le simple, le compliqué et le complexe pour choisir le bon mode de management et atteindre l’excellence décisionnelle. Chaque décideur (manager, expert, leader) peut être confronté à 3 situations différentes qui impliquent 3 processus décisionnels.
Complexe (plusieurs expertises à mobiliser) : utiliser le management de l’intelligence collective (tour de table, sprint digital, Codev stratégique) pour trouver la direction à prendre, le Pourquoi. Le Codev est aujourd’hui utilisé comme un outil de formation, mais on peut aussi l’utiliser pour résoudre des problèmes complexes (Codev stratégique) ou compliqués (Codev opérationnel).
Compliqué (une seule expertise à mobiliser) : utiliser le management participatif (mur de post-it, World Café, Codev opérationnel) pour trouver le moyen d’atteindre la destination, le Comment.
Simple : utiliser le Command & Control pour fixer des tâches et des objectifs, le Quoi.
2. Co-construire
L’intelligence collective est un processus de co-construction. Il ne s’agit pas de co-créer pour trouver une solution originale, disruptive, nouvelle. Il ne s’agit pas de co-llaborer en partageant des idées. Il s’agit d’hybrider les idées provenant de plusieurs personnes pour faire émerger une solution viable, durable, robuste. Co-construire, c’est également apporter la preuve qu’on croit dans l’intelligence de l’autre.
Retour d’expérience : si vous organisez la co-construction avec ceux qui ont un statut, un diplôme, un pouvoir, vous allez construire une solution hors sol et contribuer au désengagement des équipes.
Bonne pratique : co-construire avec ceux qui vont exécuter la décision ou qui seront impactés. Ainsi, vous mobilisez l’intelligence du terrain. Vous éviterez de courir dans la mauvaise direction ou de créer de la résistance au changement. Pour identifier ceux qui vont exécuter ou être impactés, il faut mettre en œuvre une approche holistique et systémique.
3. Le chef parle toujours en dernier
Le chef parle quand il veut dans les réunions d’information et coordination (répartition et suivi des tâches, informations sur la vie de l’équipe ou de l’organisation) ou dans les réunions de partage de bonnes pratiques (REX).
Dans les réunions de résolution de problèmes ou de créativité, nous avons besoin de générer le maximum d’idée avec une grande liberté d’expression. Dans ces réunions, qu’on soit manager (gestionnaire au Québec), leader, expert, responsable, le chef (décideur) parle en dernier sinon le fayotage s’active immédiatement (licheux au Québec). Même si le chef est bienveillant, sympathique, humain, ouvert, moderne, il tient votre carrière entre ses mains : primes, promotions, formations, augmentations de salaire. Il peut aussi contribuer à votre licenciement. L’intelligence collective s’autodétruit au moment où le chef ouvre la bouche.
Bonnes pratiques : après plusieurs tours de table, le chef parle quand tout le monde a dit « Je passe ». Dans un sprint digital, après environ 15 minutes, il demande si tout le monde a terminé et s’exprime ensuite à l’oral.
Retour d’expérience : le chef écoute attentivement quand il apprend à se taire alors qu’il voudrait parler. Il peut plus facilement reprendre l’idée d’un collaborateur puisqu’on ne saura pas si c’était la sienne ou s’il a été « inspiré ». On évite la pensée balistique : le chef qui tire sur toutes les idées différentes des siennes pendant toute la réunion !
4. Hybridation
Partager des idées (management participatif ou collaboratif) consiste à juxtaposer des idées comme on juxtapose des post-it. L’intelligence collective permet de combiner, d’hybrider deux idées. Pour cela, il faut écouter ou lire avec beaucoup de concentration. Il faut considérer A PRIORI que l’idée va être intéressante pour y porter un maximum d’attention. Ensuite, il faut être patient : l’hybridation commence au bout de 5-10 minutes à l’écrit (réunions silencieuses) et de 10-15 minutes à l’oral.
Seuls le tour de table et le sprint digital permettent l’hybridation d‘idées exprimées par un collectif. Point d’hybridation si la parole n’est pas distribuée et l’écoute mutuelle active. Avec la technique du mur de post-it, chacun écrit ses post-it de son côté. Par ailleurs, la parole est distribuée à l’écrit, mais pas forcément dans la phase de débriefing à l’oral. Il n’y a donc pas d’hybridation à l’écrit et très peu, ou trop peu, à l’oral.
Retour d’expérience : il existe des conditions favorables à l’hybridation : bienveillance, écoute, humilité et patience. Le temps est la pire variable d’ajustement d’une réflexion collective : il faut accepter de se donner du temps surtout si on privilégie l’oral sur l’écrit.
5. Parole distribuée
La parole est réellement distribuée grâce au tour de table ou sprint digital. Il n’y a pas d’intelligence collective quand on coupe la parole, on monopolise la parole, on se bat pour prendre la parole ou on se bat pour garder la parole. Quelle est la qualité de l’écoute dans ces conditions ? Non seulement la parole n’est pas distribuée, mais l’écoute est très faible.
Vous aimez l’interaction directe et spontanée : être totalement libre de prendre la parole quand vous le voulez ? Vous aimez le ping-pong verbal, les joutes ou les duels avec un gagnant et un perdant ? Malheureusement, c’est totalement incompatible avec une bonne dynamique d’intelligence collective. Comment s’ouvrir à de nouvelles idées (ouverture d’esprit) et générer de l’intelligence collective si les intelligences autour de la table ne sont pas à égalité pour exprimer leurs idées et si on ne s’écoute pas attentivement ?
Retour d’expérience : ceux qui s’expriment bien, les bons orateurs, les personnes qui ont du charisme, les rapides, les extravertis, les bavards, les anciens, les chefs vont occuper 80 % du temps de parole alors qu’ils sont minoritaires. Les timides, les introvertis, les « non-experts », les jeunes, les complexés, les blasés des réunions, ont de très bonnes idées, voulez-vous les entendre ?
6. Savoir se taire
On ne peut pas apprendre à écouter si on n’apprend pas à se taire alors qu’on voudrait parler. Se taire quand on n’a rien à dire est très facile : ce n’est pas une compétence !
Se taire permet une écoute attentive et active. On est alors capable de réellement comprendre le point de vue de l’autre. On n’écoute pas quand on se bat pour prendre la parole ou pour la garder. En outre, même lorsque nous essayons d’écouter réellement, nous sommes parfois en réalité en train de préparer notre réponse au lieu de rester dans l’écoute.
Retour d’expérience : très peu de personnes sont capables de se taire naturellement, spontanément. C’est un savoir-être quasi inatteignable ! Il faut donc se tourner vers des savoir-faire redoutables : le tour de table et le sprint digital.
7. Bienveillance / Aucune critique en public
Dans n’importe quelle réunion, critiquer publiquement les idées d’une personne peut être humiliant ou blessant : « Je ne suis pas d’accord parce que…», « Ce n’est pas une bonne idée, car… », « Oui, mais… » (oui, ton idée est intéressante, mais elle n’est pas si intéressante que cela parce que…).
La critique publique favorise un climat de peur et de défiance puis de désengagement : moins d’idées exprimées donc moins d’excellence décisionnelle.
La critique constructive (factuelle et orientée vers le futur) est utile dans les entretiens individuels pour améliorer les compétences techniques et comportementales (relations de travail). Dans un contexte hiérarchique (carrière, réputation) et en public (réunions), les gens veulent être écoutés et non critiqués. À la fin de la réunion, le décideur explique pourquoi il retient une idée et non pourquoi il rejette les autres idées.
Une critique constructive est toujours négative. Pour cette raison, elle doit être factuelle et orientée sur le futur : un axe de progrès en termes de compétences. Une critique positive est un compliment ! Critiquer une personne publiquement n’est pas constructif, mais humiliant. Cela doit donc se faire en entretien et non en réunion. Si vous souhaitez vraiment expliquer pourquoi vous rejetez une idée ou si un collaborateur en fait la demande, faites-le en entretien après la réunion.
L’intelligence collective se nourrit de divergence, elle est détruite par les critiques. Diverger consiste à exprimer des idées opposées et à les argumenter avec des faits pour créer un espace d’échanges sécurisé, à l’écrit ou à l’oral, du début à la fin de la réunion.
Critiquer ou objecter est acceptable dans un contexte non hiérarchique : politique, scientifique, sportif, associatif, éducatif, familial ou amical ; équipes en mode autogestion ; entretien individuel avec une garantie de confidentialité. Dans un contexte hiérarchique, critiquer dans une réunion est un obstacle majeur à l’intelligence collective et à l’excellence décisionnelle.
La critique dans un contexte non hiérarchique est acceptable, mais quand elle est publique, elle pose quand même un problème. Quand un professeur critique un étudiant publiquement devant sa classe, quelles vont être les conséquences ? Le fait que la critique soit argumentée ou fondée factuellement va-t-il réduire le niveau d’humiliation de l’étudiant ? Quand l’estime de soi baisse, l’égocentrisme monte. Développer un esprit critique est très important, dans le sens de questionner, douter, argumenter, explorer, vérifier et non humilier.
Mauvaises pratiques en Codev stratégique ou opérationnel : « Merci pour vos idées, mais je savais déjà tout ça. Vous ne m’avez rien appris ou pas grand-chose. » ; « Merci, mais j’ai déjà essayé cette idée et cela ne fonctionne pas. » ; « Merci, je n’ai pas essayé cette idée, mais je doute que cela fonctionne. »
La bienveillance ne consiste pas à parler en dernier, puis à reprendre toutes les idées qu’on trouve nulles pour ensuite les flinguer. Être bienveillant et performant, manager efficacement une équipe, consiste à se centrer sur les idées que l’on retient et éventuellement à les bonifier. Tirer sur les mauvaises idées de son point de vue de chef est inutile et potentiellement malveillant. Si vous n’avez pas identifié LA bonne solution, c’est peut-être parce que vous n’avez pas pris assez de temps pour la trouver, que vous n’avez pas les bonnes personnes autour de la table (celles qui vont exécuter ou celles qui seront impactées) ou que vous n’avez pas bien posé le problème. Cela dit, pour aggraver la situation, vous pouvez également perdre du temps en critiquant les « mauvaises idées ». Ce n’est pas parce que votre critique est factuelle qu’elle est acceptable ou utile. Soyez factuel sur les idées que vous soutenez et non sur celles que vous rejetez.
Blesser, humilier dans les réunions peut être considéré comme un mal nécessaire si on veut être efficace. On doit bien sûr admettre que cela a toujours fonctionné comme cela et qu’il s’agit d’une norme dans de nombreuses organisations. Critiquer publiquement est donc « normal ». Malheureusement, dans un contexte hiérarchique, plus on critique, plus on objecte, plus les gens auront peur, plus ils seront méfiants (réputation, carrière) et moins ils vont exprimer d’idées. Moins d’idées signifie moins de solutions. On augmente les risques décisionnels. On favorise aussi les biais cognitifs, en particulier le biais de la pensée de groupe. Chaque membre du groupe essaye de conformer son opinion à ce qu’il croit être le consensus du groupe. Ce pseudo-consensus conduit à une forme de pensée unique. La bienveillance dans les réunions contribue donc à l’excellence décisionnelle en limitant les décisions irrationnelles.
L’objectif de la bienveillance dans les réunions est de passer d’une logique de destruction des idées des autres par objections / critiques à une logique d’hybridation et de co-construction sur les idées des uns et des autres. Où va-t-on orienter son énergie ? On peut passer directement de l’objection à la contre-proposition. Vous n’avez rien à proposer ? Dans ce cas, posez des questions ! Vous avez identifié des risques ? Proposez une solution moins risquée. Ainsi, la bienveillance dans un contexte hiérarchique peut se résumer ainsi :
« J’objecte, je critique » devient « Je propose »
« J’identifie un risque » devient « Je présente une solution moins risquée »
Critiquer, objecter devient Diverger ou poser des questions. Il s’agit de la technique du Feed-Forward qui est présentée dans le livre Le chef écoute toujours en premier.
De nombreuses organisations font la promotion de la bienveillance, mais où sont les sanctions et les récompenses ? Vous sortirez de l’incantation organisationnelle le jour où la malveillance deviendra une ligne rouge : sanctionnez réellement les comportements déviants. Tout comme le harcèlement, la malveillance est un poison qui rend progressivement votre organisation toxique. Des petites phrases, des mots, des postures qui s’accumulent et détruisent l’engagement, la confiance et donc l’intelligence collective dans la durée.
En réalité, les critiques négatives en public sont comme les cigarettes : un micro-poison. L’effet n’est pas immédiat. Cela ronge progressivement l’engagement comme un cancer. Quand votre conjoint vous critique devant des amis dans une soirée, vous allez probablement vous plaindre de ce comportement. Quand c’est votre chef ou vos collègues, vous allez probablement subir et vous protéger en réduisant votre participation au minimum. Vous allez vous taire.
8. Humilité
Dans les situations complexes, personne ne sait avec certitude ce qu’il faut faire. Dans 6 à 12 mois, on saura si la décision était bonne ou mauvaise. Le décideur doit impérativement expliquer au début d’un Codev stratégique que personne ne sait : ni lui, ni les participants, ni personne ! Dans le compliqué, tout le monde sait avec certitude, mais plusieurs chemins mènent à Rome. Un seul va créer de l’engagement et de la confiance. Lequel ? Personne ne le sait avec certitude. Il faut donc co-construire ce chemin !
L’humilité demande du courage dans les organisations hiérarchiques : affirmer qu’on ne sait pas tout, qu’on peut se tromper.
Mauvaise pratique dans un Codev : être sûr et certain qu’une idée est mauvaise. Si vous mettez autour de la table ceux qui vont exécuter la décision ou qui seront impactés, vous créerez de facto les conditions d’une humilité collective !
9. Confiance
Dans le cadre d’une rencontre en mode intelligence collective, la confiance résulte de 4 facteurs : la bienveillance (7ème principe), l’engagement (pas de passager clandestin), la connaissance mutuelle et surtout « le chef parle toujours en dernier » (3ème principe). Quand le chef parle en dernier, il démontre son ouverture et sa volonté d’écouter réellement toutes les idées. Cela augmente la confiance du collectif et libère la parole. La confiance émerge plus facilement dans un espace de discussion sécurisé… parce que le chef parle en dernier !
Il faut prendre du temps pour que chaque participant se présente avant de démarrer une rencontre. Si le temps le permet, prévoir une séquence brise-glace.
Bonne pratique : accepter et encourager l’humour pour réduire les tensions, prise de parole spontanée quitte à rompre le tour de table.
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Lost in translation durant la lecture de ce billet ? Je vous invite à vous inscrire à ma prochaine conférence ou formation !
Extraits du livre : Le chef parle toujours en dernier. Voir chapitre 3 du livre.
Si vous souhaitez aller plus loin sur certains principes, je vous invite à découvrir le manifeste de l’excellence décisionnelle (20 principes) qui se trouve en annexe de mon dernier livre : http://www.axiopole.com/book/detail/l-excellence-decisionnelle#wowbook/211
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5 thoughts on “Manifeste de l’intelligence collective”