Manager en posture de manager… ou d’expert ?

L’expertise est aujourd’hui la voie royale pour devenir manager alors même que les qualités nécessaires pour devenir un bon expert sont quasiment à l’opposé des qualités requises pour devenir un bon manager. Le goût pour la relation humaine est rarement associé à celui du goût pour la technique et inversement !

Pour aggraver les choses, les organisations ne veulent pas perdre l’expertise des personnes nommées managers. On leur demande donc d’être à la fois experte et manager. Cela plonge immédiatement dans un paradoxe. Au lieu d’articuler les rôles de manager et d’expert selon le besoin, un expert nommé manager risque de se réfugier dans sa zone de confort : la posture d’expert.

Dans l’excellence opérationnelle (courir vite), on connait depuis longtemps les problèmes que posent les managers qui adoptent les comportements propres aux experts :

  • Une approche centrée sur la technique plutôt que la vision globale du problème et en particulier le facteur humain,
  • Maintenir en dépendance technique ses collaborateurs pour garder son statut d’expert et donc son statut de manager,
  • Mettre son énergie sur le développement de ses compétences au détriment de celles de ses collaborateurs,
  • Décider lentement parce qu’il faut être sûr à 100% du résultat alors qu’un manager doit savoir prendre des risques (la non-décision ou la décision tardive est toujours pire que la mauvaise décision).

Pour aller plus loin sur ce sujet, voir mon livre Le manager contre-naturel.

Dans l’excellence décisionnelle (courir dans la bonne direction), nous avons le même problème que dans l’excellence opérationnelle, mais il passe inaperçu parce que le Saint Graal de la décision repose sur 4 piliers : le statut, le pouvoir, le diplôme ou l’ancienneté. En réalité, nous devrions plutôt fonder nos décisions sur l’analyse de la situation : simple, compliquée ou complexe ? Nous devrions également distinguer la conception de la décision et la prise de décision. Au lieu de cela, on passe très vite en mode science infuse et tour d’ivoire.

Dans cet article, nous allons parler d’une évidence. Dans une prise de décision, un manager devrait toujours être en posture de manager. Cependant, un manager est le plus souvent en posture d’expert. Dans ce cas, la gestion des risques décisionnels n’est plus vraiment possible. Le risque de courir dans la mauvaise direction augmente et, avec lui, le risque de créer un environnement de travail toxique parce qu’il est très difficile de courir vite quand on court dans la mauvaise direction. Si vous avez des problèmes de climat social, de rétention des talents, vous avez probablement un problème d’excellence décisionnelle. C’est la cause racine de vos problèmes. Pour traiter cette cause, il faut d’abord vous assurer que les managers soient toujours en posture de manager !

Qu’est-ce qu’un expert ?

Il traite de problèmes techniques compliqués dans le domaine de son expertise métier. Cette légitimité technique l’aidera un jour à devenir manager. Il s’agit d’un rôle où il faut avoir un minimum de compétences techniques pour fixer des objectifs à ses collaborateurs, mais sans avoir besoin d’être un expert. Le rôle d’un manager est de “faire faire” et non de faire à la place de ses collaborateurs.

Conception d’une décision : réfléchir seul dans son bureau en mobilisant son expertise technique, puis demander l’avis de ses pairs pour vérifier qu’il y a un consensus sur la solution trouvée.

Prise de décision : en fonction de la subsidiarité, qui est responsable ? Si une seule personne est responsable, elle doit décider seule. S’il y a 2 ou 3 personnes responsables, la décision sera collégiale.

Finalité du rôle : trouver une solution technique qui, en théorie, devrait être sûre à 100%, sinon on risque de perdre son statut d’expert. L’expert a toujours raison, sinon ce n’est plus un expert.

Qu’est-ce qu’un manager en posture d’expert ?

Il traite de problèmes simples, compliqués et complexes, mais il ne fait pas la différence. Pour lui, compliqué = dur et complexe = très dur !

Conception d’une décision : réfléchir seul dans son bureau en mobilisant son expertise technique, puis organiser une réunion avec la technique du ping-pong verbal ou du mur de post-its le plus souvent en mode faux participatif. L’objectif de la réunion, pour un manager en posture d’expert, est de démontrer que sa solution est la meilleure et, éventuellement, la modifier très légèrement en fonction des feedbacks reçus. En effet, un manager en posture d’expert pense que le socle de sa légitimité de manager est le même que celui de sa légitimité d’expert. S’il n’apporte pas les meilleures idées, les meilleures solutions, il risque de perdre sa légitimité d’expert et donc sa légitimité de manager, puisqu’il est devenu manager grâce à son expertise technique.

Prise de décision : en fonction de la subsidiarité, qui est responsable ? La décision est souvent celle proposée par le chef au début de la réunion, plus ou moins ajustée avec les feedbacks des collaborateurs.

Finalité du rôle : trouver une solution sûre à 100% pour ne pas perdre son statut d’expert. Cela conduit à des décisions tardives ou à la non-décision, parce que la plupart du temps un manager ne peut pas prendre des solutions sûres à 100%. Les cailloux s’accumulent dans les chaussures de ses collaborateurs et l’engagement diminue inexorablement.

Qu’est-ce qu’un manager en posture de manager ?

Il traite de problèmes simples, compliqués et complexes. Il a compris qu’il n’était pas un décideur, mais 4 décideurs. Il utilise donc 4 processus décisionnels et 4 boites à outils.

Conception d’une décision : réfléchir seul ou co-construire en fonction de la situation : complexe, compliquée ou simple.

  • Complexe (enjeux collectifs type stratégie, réorganisation, développement de performance) : tout le monde sait quelque chose, mais personne ne sait avec certitude. Il faut donc bien poser le problème (trouver les causes racines) ; se poser des questions avant de chercher des solutions en utilisant les 4 questions de l’excellence décisionnelle, la technique du Codev Stratégique et du feed-forward ; s’assurer d’une diversité de parties prenantes pour co-construire une solution hybridée – le point d’équilibre entre toutes les contraintes exprimées par toutes les parties prenantes. Une solution hybridée est un point d’équilibre, elle n’était donc dans la tête de personne au début de la réunion.
  • Compliquée (implémentation des décisions prises sur les enjeux collectifs) : tout le monde sait quelque chose avec certitude, mais il faut trouver une bonne adéquation entre l’objectif à atteindre et les moyens utilisés afin de susciter l’adhésion du collectif et éviter la résistance au changement. On peut utiliser les techniques classiques de mur de post-its ou le World café.
  • Simple (opérations, activités) : tout le monde sait quelque chose avec certitude, mais il faut prendre des décisions SMART, ambitieuses, mais réalistes. Cela veut dire qu’il faut négocier les moyens, les délais et bien définir le livrable en tenant compte des plans de charge de chacun de ses collaborateurs. Il s’agit de toutes les décisions que nous prenons quotidiennement dans le cadre de l’excellence opérationnelle (courir vite).

Ces processus sont décrits en détail dans cet article.

Prise de décision : en fonction de la subsidiarité, qui est responsable ?

Finalité du rôle : trouver une solution viable, durable et désirable parce qu’elle aura du sens pour toutes les parties prenantes grâce au point d’équilibre et qu’elle va créer de la confiance et de l’engagement dans la phase d’implémentation.

Conclusion

Comme un manager en posture d’expert confond les notions de conception de décision et de prise de décision, les réunions qu’il organise deviennent vite une procédure administrative (le faux participatif) qui vise à démontrer que l’idée du chef, plus ou moins amendée, est la meilleure.

Les outils des consultants, utilisés durant des ateliers ou des séminaires, sont perçus comme “marrants” ou “sympathiques”. De ce fait, un bon facilitateur en intelligence collective est une personne qui vient avec ces outils et qui repart avec ! Ces démarches sont trop structurantes. Elles distribuent la parole et imposent une écoute active alors que tout le monde préfère le ping-pong verbal parce qu’il permet une interaction directe, spontanée, mais surtout parce qu’il permet de monopoliser la parole pour bien montrer à tout le monde qu’on apporte la meilleure solution et de couper la parole à ceux qui se trompent… parce qu’ils ne sont pas d’accord avec moi ! Avec la technique du ping-pong verbal, les timides, les introvertis, ceux qui sont en insécurité psychologique ou qui souffrent du syndrome de l’imposteur auront peu de place pour s’exprimer. Ils devront se battre pour prendre la parole et surtout pour la garder. Si la parole n’est pas distribuée, la décision ne pourra pas être éclairée. Elle sera biaisée, d’autant plus que le manager en posture d’expert devient également un expert de la pensée balistique : tirer sur toutes les idées différentes de celle qu’il annoncera à la fin de la réunion.

Quand la rétention des talents, l’attractivité (recrutement) et les niveaux d’engagement deviennent une préoccupation pour l’organisation, nous prenons de nombreuses mesures, sauf celles qui permettraient de s’assurer qu’un manager soit toujours en posture de manager. Nous allons traiter les symptômes du problème au lieu de travailler sur la cause racine : le manque d’écoute du manager en posture d’expert qui cherche à imposer sa solution pour garder sa légitimité. Cela le conduit à une mauvaise gestion des risques décisionnels. Plus vous courrez vite dans la mauvaise direction, plus l’engagement diminue et l’envie d’aller voir ailleurs augmente. Cet article devrait vous convaincre que ce n’est pas une fatalité !

Un manager en posture de manager est bon ou mauvais dans ses prises de décision. Ce ne sera jamais le cas d’un manager en posture d’expert : il sera simplement chanceux ou malchanceux pour chacune de ses prises de décision parce que le manque d’écoute et d’humilité ne permettent pas de gérer les risques décisionnels efficacement.

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Author: Olivier Zara

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2 thoughts on “Manager en posture de manager… ou d’expert ?”

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